
Rencontre : Référentiels carbone des CDN et des équipes artistiques – Quels enjeux communs ? Quelles perspectives ?
Le lundi 26 mai 2025, une rencontre publique co-organisée par l’ACDN et le Théâtre Dijon Bourgogne s’est tenue dans le cadre du festival Théâtre en mai. Cette rencontre s’est inscrite dans la continuité d’un vaste chantier engagé par le ministère de la Culture : la réalisation de « référentiels carbone » pour le secteur de la création artistique, afin de se doter d’une vision objective des impacts du secteur, dans le cadre plus large de la Stratégie nationale de neutralité carbone.
À l’issue de la réalisation de leurs référentiels respectifs, le réseau des Centres dramatiques nationaux, ainsi qu’un panel d’équipes artistiques, ont partagé et croisé les principaux enseignements de ces référentiels et les pistes d’action qui en découlent pour le secteur.
Intervenant·es
La rencontre a réuni un panel d’intervenant·es impliqué·es dans l’élaboration de ces référentiels :
- Cyril Delfosse, formateur, éco-consultant pour le Bureau des Acclimatations, qui a accompagné le réseau des CDN pendant 18 mois, ainsi que le panel d’équipes artistiques.
- Maëlle Poésy, directrice du Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national – dont le CDN a fait partie du panel des 7 CDN retenus pour réaliser leur bilan carbone et construire le référentiel du réseau.
- David Geselson et Noura Sairour, à la direction de la Compagnie Lieux Dits, référente pour le référentiel carbone des compagnies.
- Et enfin les représentant·es de la DGCA, qui a initié et financé cette démarche pour l’ensemble des labels :
- Frédérique Sarre, responsable de la Mission Transformation écologique de la création
- Guilhem Chabas, chargé de mission Centres dramatiques nationaux
Enseignements clés des bilans carbone
Un bilan carbone évalue les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par une activité. Les référentiels présentés sont issus des bilans carbone réalisés par 7 Centres dramatiques nationaux (CDN) et 9 compagnies artistiques, sur une année, dans une perspective d’extrapolation à l’ensemble du secteur.
Ces diagnostics révèlent plusieurs tendances marquantes :
Pour les CDN :
- Moyenne de 705 tonnes éq. CO2/an
- Principaux postes d’émission :
- 46 % activités artistiques
- 29 % fonctionnement général
- 17 % bâtiment
- 8 % activités annexes
- Contrairement aux résultats précédemment produits dans le secteur culturel et particulièrement le spectacle vivant, la mobilité des spectateur·rices ne constitue que 11 % des émissions, et l’activité artistique constitue le principal poste d’émission.
Pour les compagnies artistiques :
- Moyenne de 156 tonnes éq. CO2/an
- Principaux postes d’émission :
- 61 % diffusion (mobilité du public intégrée)
- 30 % création
- 8 % au fonctionnement
- 1 % action culturelle
- 50 % des émissions proviennent de l’occupation des lieux d’accueil
Ces résultats ont soulevé des points d’étonnement : l’impact majeur de l’activité artistique elle-même, les limites de certaines méthodologies de calcul, ou encore l’équilibre à trouver dans la répartition du portage entre lieux et équipes artistiques.
Une mise au travail concrète pour les CDN
Le référentiel carbone des CDN, publié à l’automne 2024, est l’aboutissement de 18 mois d’accompagnement mené avec La Base et le Bureau des Acclimatations. Pour les CDN, ce processus n’a pas seulement produit des chiffres, il a mobilisé les équipes par métiers (production, communication, direction technique) pour interroger et transformer les pratiques sur des thématiques précises :
- Politique d’achats responsables
- Éco-conception des spectacles
- Sobriété énergétique
- Sensibilisation interne
L’expérimentation méthodologique des compagnies
Le panel de compagnies impliquées dans la réalisation d’un référentiel carbone du secteur ont développé un outil d’autoformation, inspiré de la Théorie du Donut de l’économiste Kate Raworth, qui veut repenser l’économie pour parvenir à répondre aux besoins humains de base et la préservation de l’environnement, et l’expérimentation de théâtres européens, qui ont adapté et mis en pratique ces enseignements en 2020 autour du projet STAGES. Cet outil suit un protocole en trois étapes :
- Diagnostic social et environnemental
- Prospective vers un modèle soutenable
- Plan d’action personnalisé, via des ateliers collectifs
Ce protocole permet à chaque compagnie de repenser son projet à la lumière des limites planétaires, tout en affirmant son utilité sociale.
Au Théâtre Dijon Bourgogne : intégrer la question environnementale au projet artistique
Au TDB, la transition écologique est intégrée au projet artistique, engagé politiquement et environnementalement autour d’enjeux de sensibilisation du public. Plusieurs leviers y sont déjà à l’œuvre :
- Optimisation des tournées et des transports
- Charte de production éco-responsable, sensibilisation des créateur·ices
- Politique d’achats responsables
- Cantine majoritairement végétarienne et locale
- Employeur responsable : formation interne, prime à la mobilité douce
Le rôle de la DGCA : structurer une politique publique
La démarche des référentiels carbone s’inscrit dans une stratégie plus large pilotée par la DGCA, afin de créer un mouvement collectif autour de la mesure carbone, mais aussi sur des plans d’action. Cette démarche se déploie en trois volets : la mesure (bilans carbone), la formation et la mise en œuvre d’un plan d’action.
A partir des référentiels réalisés auprès de l’ensemble des labels, la DGCA présentera cet été un bilan carbone de l’ensemble du secteur de la création.
Le cadre général de la politique du ministère s’axe sur un plan d’action, composé de plusieurs mesures, notamment :
- Le CACTE (Cadre d’actions et de coopération pour la transformation écologique), un cadre commun aux acteurs de la création pour transformer leurs activités au regard des enjeux écologiques. Il a pour objectif de permettre aux acteurs de la création de participer aux efforts d’atténuation des impacts environnementaux et de développer une stratégie d’adaptation.
- Les résidences vertes : un projet de renouvellement des résidences d’artistes, en inscrivant l’ambition écologique au cœur du processus de création artistique.
Quelles perspectives pour le secteur ?
Une fois que les équipes artistiques et les lieux s’engagent conjointement dans un chantier de transformation des modalités de production et de diffusion des œuvres — en questionnant les rythmes de création, l’ancrage territorial des projets ou encore la durée des diffusions — ils atteignent un plafond de verre qui ne peut être dépassé que par des réponses systémiques et globales.
Des limites apparaissent rapidement, dans les pratiques du public, en particulier leurs déplacements, ou encore sur les enjeux bâtimentaires. Pour ces deux dimensions, un engagement fort des pouvoirs publics est indispensable.
Par ailleurs, la transition écologique suppose un réel investissement en temps et en moyens humains, difficile à maintenir dans un contexte économique déjà fragilisé pour le secteur. L’éco-responsabilité exige du temps et des financements adaptés.
Un travail de fond sur le projet de société s’avère nécessaire. Ce questionnement touche au cœur même du projet artistique. Il doit être porté collectivement — et avec joie — comme une chance de redonner sens aux pratiques, dans une dynamique de responsabilité partagée et de création renouvelée.
Cette rencontre a permis de mesurer que la transition écologique du spectacle vivant ne peut être envisagée qu’à l’échelle collective : comme un moyen pour repenser en profondeur les manières de faire, au service du sens, du lienx au territoires et de l’avenir de l’écosystème de la création.