Cours au sein du CUT 1 © Franck Manzoni
© Franck Manzoni

Mobilité internationale : l’éstba au Mexique

Tout au long de la saison 23/24, découvrez un temps fort ou une facette d’une école ou classe préparatoire de CDN. Ce mois-ci, retour sur le voyage au Mexique de la Promotion 6 de l’École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine, du 8 janvier au 10 février 2024. Cinq semaines intenses d’échanges pédagogiques et d’immersion dans une culture passionnante, dont les élèves ont pleinement profité et sont revenus riches d’expériences et de souvenirs.

“Depuis sa création, la politique de l’éstba est d’offrir au moins un voyage d’étude par promo, lors de la deuxième année”, explique Franck Manzoni, comédien artiste permanent et directeur pédagogique depuis 2016 – également en charge du projet Égalité des chances. “Tous les coûts de ce projet de mobilité internationale sont pris en charge par l’école, avec les aides de l’Institut français, de la Ville de Bordeaux et de la Métropole.” Les anciens élèves ont ainsi eu la chance de partir à Berlin, à Madrid, en Argentine… Seule la “Promo 5” a malheureusement dû reporter et finalement annuler son séjour au Japon, en pleine période Covid. D’autres voyages moins lointains sont aussi au programme tout au long du cursus.

“Le projet Bordeaux-México est né du lien très fort qui unit Catherine Marnas, la précédente directrice du TnBA, et le Mexique, sa seconde patrie. Elle y a développé un fort réseau autour du théâtre, notamment avec le CUT (Centro Universitario de Teatro, au sein de l’Universidad Nacional Autónoma de México), qui nous a accueilli·e·s durant cinq semaines.”

Objectifs ? Partager le quotidien de 16 étudiant·e·s du CUT et, accompagné·e·s par des enseignant·e·s mexicain·e·s, se confronter à des œuvres dramatiques nationales majeures.

Franck Manzoni, qui s’est occupé, en lien avec la direction, de coordonner les intervenant·e·s, suivre et accompagner les élèves de tous niveaux et gérer les partenariats, souligne l’importance du “travail de déplacement” : “J’ai travaillé pendant longtemps avec Catherine Marnas et fait un remplacement de rôle au Mexique, je sais donc ce que c’est. Partir aussi loin, travailler dans une langue que l’on ne connaît pas forcément, plonger dans une culture, une histoire, une société aussi différentes, c’est un véritable choc culturel à tous points de vue. Les élèves appréhendent la façon dont le théâtre est vécu sur place, les structures existantes, les méthodes de travail, proches ou éloignées, les difficultés auxquelles sont confronté·e·s les artistes professionnel·le·s – souvent moins accompagné·e·s qu’en France. La langue change aussi beaucoup de choses. Tout cela demande un effort important de compréhension, de recherche, de souplesse. Ce n’est pas qu’une aventure théâtrale, c’est une expérience de vie.

Concrètement, pour monter un tel projet, il a fallu mettre en place en amont toute une série de réunions en visio entre différent·e·s intervenant·e·s, avec l’appui d’une chercheuse, Annya Atanasio Cadena, qui a pris en compte les besoins. 

Au-delà de l’aspect purement opérationnel (trouver un hôtel, organiser les déplacements…), c’est un véritable dialogue pédagogique qui s’est installé entre l’éstba et le CUT sur la construction des cours. Des discussions a émergé l’idée de créer un enjambement entre un texte classique et un texte plus contemporain : Los signos del Zodiaco (1951) de Sergio Magaña, première grande pièce naturaliste mexicaine qui mit pour la première fois en scène la population pauvre et ouvrit, par son succès, une nouvelle ère du théâtre populaire mexicain ; et Oc Ye Nechca, érase una vez (2008) de Jaime Chabaud (que les élèves ont pu rencontrer !) qui, à travers le thème de la migration et des frontières, parle de violence, d’inégalités, d’identité et révèle la diversité des cultures latino-américaines.

En amont, les élèves de l’éstba ont suivi des cours d’espagnol pendant trois mois pour acquérir un maximum de notions autour de la langue, ainsi qu’un stage consacré à la culture mexicaine. Une fois sur place, deux groupes d’élèves franco-mexicain·e·s, constitués par le Mexique, ont travaillé séparément, avant un temps d’échange, sur ces deux objets différents, avec les mêmes professeur·e·s de voix et de technique corporelle, mais des intervenant·e·s en interprétation différent·e·s.

“J’ai plutôt été étonné qu’il n’y ait pas tant de différences d’approche que cela” avoue Franck Manzoni, qui accompagnait la promo. “Les chemins de travail sont différents, mais pour arriver à des résultats qui sont assez proches. Les exercices sont très inspirés de Meyerhold, de Grotowski, c’est un théâtre très physique et organique, alors qu’en France, nous cherchons d’abord le centrage de l’acteur·rice, avec souvent un travail de dramaturgie prudent avant de s’élancer. Par rapport à notre école, il y a beaucoup de correspondances : à l’éstba, le corps est aussi dans notre ADN ; les élèves ont des cours fondamentaux et des stages longs de danse, des cours de technique vocale, de yoga… Ils ont d’ailleurs commencé leur année avec la Compagnie Hofesh Shechter !”

Le rythme a été intense. “Nous avions balisé les parcours pour que les élèves aient des temps d’étude – le matin jusqu’à 14h -, des temps d’autonomie pour travailler sur ce qu’ils avaient à produire – et des temps de visites culturelles… Nous avons eu, grâce au CUT, la chance de loger dans une pension à Coyoacán, le quartier bohème de Frida Kahlo rempli d’artistes, nous avons vu plusieurs pièces et spectacles, visité tous les musées (Rivera, Kahlo…), assisté à un match de Lucha Libre, passé un week-end aux pyramides de Oaxaca… Nous étions totalement immergé·e·s dans la culture mexicaine et j’ai rarement vu des étudiant·e·s aussi impliqué·e·s, profiter à ce point d’une proposition. Iels n’ont pas pris une journée de repos : même quand je ne proposais rien, iels faisaient quelque chose !”

Au Mexique, la restitution de ces cinq semaines de travail s’est matérialisée en deux classes ouvertes, un échange entre chaque groupe pour se montrer mutuellement les chemins qu’ils avaient chacun parcourus.

De retour en France, après un lundi de repos, les élèves ont eu quatre jours, du mardi au vendredi, pour créer un “carnet de bord scénique”, auquel ils avaient dû réfléchir durant le voyage. “Ils ont discuté tous les 14 et ont travaillé comme des fous”, s’enthousiasme Franck Manzoni. “Cette heure de scène, qui n’était pas à proprement parler un spectacle, leur a donné l’occasion de “faire groupe”, de se situer sereinement les un·e·s par rapport aux autres et de raconter “leur Mexique”. J’ai apporté un regard extérieur l’avant-dernier jour, lors du “monstre” / filage, en leur indiquant les chausse-trappes, les endroits où ça pouvait gagner en liant, en intelligence, mais iels sont resté·e·s totalement libres… C’est leur création, dont ils ont fait, avec le soutien de Nina Drocourt, notre chargée de communication, un bel objet de partage.”

Et après ? Ce projet est prévu en plusieurs volets. Au deuxième semestre de la saison 24/25, les étudiant·e·s mexicain·e·s devraient à leur tour faire le voyage inverse, par petits groupes de 3 ou 4, pour s’inclure dans des stages existants. “Nous allons leur proposer en amont de se former sur tel ou tel auteur qui sera travaillé, nous leur donnerons bien sûr des outils et beaucoup d’aide de nos élèves, comme iels l’ont fait pour nous. Forcément nous allons être en lien encore quelque temps et après, selon les circonstances, les budgets, cela pourra donner lieu à d’autres choses, mais ce n’est pas l’objectif.”

Franck Manzoni insiste sur l’intérêt de la globalité du voyage : “Ces voyages, c’est toujours un grand moment pour les élèves (qui, pour certain·e·s, ne sont jamais allé·e·s aussi loin). Malgré la fatigue, malgré parfois les petits désagréments de santé sur place, iels sont toujours bouleversé·e·s de devoir rentrer. Au Mexique, les rencontres faites dans la rue ont été aussi importantes que celles faites au théâtre, que les œuvres picturales, Teotihuacan, etc. C’est une expérience unique qui ne peut que les bouger, voire… les changer.

« Je suis ici où j’aurais toujours pu être. »

Mattéo Cresto et Samuel Santos Aguiar, extrait du cahier de bord

Le Festival Cartes Blanches
Depuis son retour, la Promotion 6 s’est attelée à un nouveau projet, dont le carnet de bord scénique était en quelque sorte l’introduction. Iels viennent d’entrer dans cinq semaines de répétitions autour de cinq projets personnels, pensés et créés ensemble, “synthèse” de leurs deux premières années d’étude : “Les 14 élèves doivent se mettre d’accord sur les cinq projets et sont ensuite mobilisés sur chacun d’eux, à des endroits différents. Cela nous permet d’ouvrir le champ des possibles au-delà du travail de comédien·ne : mise en scène, scénographie, communication…” précise Nina Drocourt. Ces projets artistiques, autant personnels que collectifs, se concrétiseront au Festival Cartes Blanches, du 18 au 22 mars 2025, cinq jours pleinement intégrés à la programmation du TnBA.

A voir aussi